Une année en 2 chevaux…

Sébastien Prod’homme
9 min readSep 15, 2018

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Chapitre 10

Si l’automobile avait suivi le même développement que les ordinateurs, une Rolls Royce coûterait aujourd’hui 500 francs, ferait du 700 kilomètres heure et exploserait une fois par an en faisant 10 morts.”

Robert Cringely

La rouille, cette peau de chagrin

Ornant une belle partie des brancards, ayant élu résidence jusqu’à l’intérieur de l’habitacle, présente çà et là au niveau des planchers… Mieux vaut être franc sur le sujet que de naïvement se voiler la face : peu nombreuses sont les voitures anciennes non restaurées à être parfaitement exemptes de rouille…

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Si les 2CV ne sont pas les véhicules de collection les plus touchés par ce phénomène (à la différence de bien des véhicules latins… Alfistes et autres Fiateux se reconnaîtront), les dernières 2CV, pour partie produites au Portugal, souffraient toutefois d’une qualité d’alliage parfois faible, voire carrément douteuse, notamment du côté du châssis.

Et c’est bien là le point n°1 à inspecter lors de l’achat d’une 2CV ou de l’un de ses dérivés car, dans le cas d’un châssis grandement rouillé (2 amis en ont fait l’amère expérience…), vous serez bons pour non-seulement devoir racheter un nouveau châssis, ou encore faire réfectionner le vôtre par un maître carrossier, mais surtout… de devoir démonter, dans TOUS les cas de figure, l’intégralité de votre 2CV.

Oui, vous m’avez bien lu : l’INTÉGRALITÉ de votre 2CV.

Débute alors une liste dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est longue : la coque entière, composée de l’habitacle, du circuit électronique, du coffre, des nombreux panneaux et éléments de maintien du compartiment moteur… en passant par le moteur, la boîte et les derniers boulons de maintient de caisse, qui, si vous en êtes à vouloir changer de châssis à cause de la rouille, doivent eux-mêmes très certainement être complètement attaqués… Autant dire que c’est l’opportunité parfaite pour réaliser une restauration complète car tout est alors vraiment à démonter.

La mienne n’avait, heureusement pour mon portefeuille et mon endurance mentale, pas un châssis aussi rongé qu’il eût été nécessaire d’opérer. La rouille restait superficielle et ne mettait donc pas (encore !) en péril la structure elle-même. Les parties les plus touchées étaient les brancards de la caisse, mon pot d’échappement (du vrai gruyère !) ainsi que certains angles de vitres (merci l’humidité conservée entre le joint et la carrosserie…) ainsi que les planchers avant, plus ou moins rafistolés par un ancien propriétaire.

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Ayant fait établir quelques devis afin d’évaluer les coûts de réparation, je décidais bien rapidement de ne pas aller plus loin, au regard de mes moyens, que de changer le pot d’échappement et de stabiliser les points de rouille accessibles. On pourra critiquer cette décision, juger qu’il s’agit là d’un manque d’attention porté au véhicule… Je n’avais clairement pas les moyens d’assurer une restauration intégrale à 10 –15 000€. Mon but était avant tout de maintenir en état la carrosserie afin de réparer ce qui devait l’être, tout en la faisant le moins vieillir possible.

Au dernier contrôle technique passé sur mon dérivé de 2CV, les 14 défauts du premier s’étaient d’ailleurs réduits à peau de chagrin, pour finalement arriver à 5 défauts uniques, naturellement non-soumis à révision ultérieure.

Pleine de ressources et bien aidée par un manque patent d’entretien, la rouille peut toutefois se trouver là où on ne l’attend véritablement pas… Stationnée deux semaines en hiver dans la grange d’une grande amie de notre famille, je retrouve mon Acadiane après quelques vacances là où je l’avais laissée : la grange est fraîche, les pierres qui ornent sa construction montrent des signes de calcaire et de salpêtre : définitivement, nous sommes loin de la chambre blanche, mais je n’avais alors aucune autre option.

Voulant la redémarrer, rien n’y fait : l’allumage ne semble plus assurer ses fonctions. Bien embêté, j’ouvre le capot afin de procéder à un premier contrôle, mais n’observe rien de particulier. Coup de chance, Roger, un ami ancien garagiste Citroën à la retraite rend ce jour-là même visite à notre amie familiale… Je ne perds pas de temps et file lui demander conseil.

Si j’avais dû imaginer un garagiste Citroën des années 80, c’est exactement Roger que j’aurais décrit.

Un monsieur aux mains et au visage burinés par le temps, facile d’accès, préférant toujours l’empirique au théorique et toujours prêt à donner un coup de main. Il file droit vers son Citroën Berlingo tôlé, sort ses outils et enfile un pull troué à manches longues. Arrivé devant l’Acadiane, un coup de clé et déjà une solution à proposer : « Pas de doutes, ce sont tes vis platinées ! ».

Les vis platinées, pour le lecteur néophyte, n’ont rien de comparable avec les vis usées par le temps, telles que tout un chacun pourrait en premier lieu se les imaginer. Il s’agit en fait d’un système finalement assez archaïque de contact qui sert, une fois mis en mouvement par la rotation du moteur, à créer les essentielles étincelles d’allumage, en combinaison avec la bobine et les bougies. Il s’agit donc d’une pièce élémentaire, sans laquelle l’explosion du mélange essence-air ne pourrait être générée. Ces vis doivent également être réglées, de sorte que l’étincelle soit produite au moment opportun, générant ainsi la combustion du mélange dans les deux cylindres et, si Dieu le veut : faire avancer la voiture !

Ça tombe bien car chez Roger, qui habite à 10mn de la grange où se trouve ma capricieuse, se trouve une véritable caverne d’Ali baba Citroënesque… La décision est prise : Roger m’embarque dans son Berlingo pour aller voir s’il lui reste de quoi assurer la réparation.

Par chance, il lui reste deux sets antiques, mais neufs, de vis platinées ! Retour à la grange pour tomber le museau de l’Acadiane et le ventilateur qui se trouvent devant le boîtier d’allumage. Roger s’affaire à réaliser le remplacement, jurant contre les boulons corrodés qui lui font obstacle… À peine plus d’une demi-heure plus tard, les vis sont posées et le ventilateur remonté. Un tour de clef… Le démarreur tourne dans le vide, aucune explosion. Un second tour… toujours rien. Décidément, elle a décidé de jouer aux teignes aujourd’hui…

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Nous regardons au multimètre du côté des contacts du boîtier d’allumage, du côté des bougies… Il semblerait que le contact ne se fasse pas… la belle affaire ! Les fils de bougie sont pourtant en parfait état, le multimètre n’indique aucune résistance… La bobine d’allumage peut-être ? J’en ai 2 d’occasion dans le coffre, un précédent contact m’en ayant fait don en me précisant qu’il était toujours bon d’en avoir une ou deux de secours… Pourtant rien n’y fait. Roger sursaute : « Eureka ! » me dit-il. « Ça doit être ces foutus connecteurs aux bornes de la bobine, j’ai déjà vu ça ».

On analyse brièvement lesdits connecteurs : bingo ! Le connecteur qui relie la bobine au condensateur est un peu corrodé et ne fait pas complètement contact avec le pôle « - » ; suffisamment en tous cas pour ne pas assurer la connexion finale entre la bobine et le fil de bougie… Roger sort un domino de son antique boîte à outils et dénude le fil de bougie pour assurer la connexion. Un coup de clef, le moteur s’ébranle de manière très irrégulière, mais démarre.

Nous rigolons ensemble de notre infortune, nous qui avons maintenant passé plus de deux heures à chercher une panne sur le boîtier d’allumage, alors que la panne se situait… sur un pauvre connecteur disponible sans le moindre démontage préalable : « C’est comme ça petit, et tu verras que ça ne sera sûrement pas ta dernière surprise ! » me glisse-t-il en riant.

Quand on pense que la 2CV n’a pas le 1/1000ème d’électronique embarquée des véhicules modernes, on ne peut que s’accorder avec lui à penser « qu’avant, c’était tout de même plus facile ». Mais c’est une autre histoire, n’est-ce pas ?

Roger m’indique qu’il doit encore régler l’avance de mon allumage. Je m’étais déjà pas mal renseigné sur la procédure, le fait que l’on pouvait le faire de manière mécanique, à l’aide d’un arc de cercle gradué, mais également de manière électronique, avec un stroboscope. Je lui demande donc s’il a tout ça dans sa boîte à outil, mais le voilà qui me rigole encore au nez : « Mes oreilles suffiront ! ». Le voici qui retire à nouveau le ventilateur, sort deux tournevis et me demande de me placer au volant : « Quand je te le dirai, démarre et accélère régulièrement. Vas-y ». Je m’assois sur la banquette mollassonne et obéis. Le moteur tourne mal, très mal : le ralenti ne tient pas.

Roger me demande de laisser le moteur tourner. Ça vibre de partout, le frêle capot part dans tous les sens, si bien que, déséquilibré par les vibrations du moteur, il finit par lui tomber sur la tête…

Une belle lancée de jurons envahit la grange. Roger se relève, coince mieux le capot et reprend ses tournevis. Après quelques itérations, le moteur tourne rond. Parfaitement rond. On file pour un tour de test et les premières observations se confirment : le moteur monte parfaitement dans les tours. Le contrôle technique réalisé avant la vente le confirmera : Roger avait parfaitement réglé l’avance, avec pour seuls et uniques outils ses oreilles, ses tournevis et son expérience.

Autant dire qu’il méritait bien de prendre le volant que je m’empressais de lui laisser ainsi que les quelques bières offertes à notre retour…

La rouille n’est toutefois pas toujours aussi superficielle que dans ce cas, surtout sur des 2CV qui, avant toute chose, furent construites pour être des voitures à vivre au quotidien. On peut d’ailleurs observer que pour l’essentiel, ces voitures furent malheureusement souvent assez mal entretenues par leurs premiers propriétaires. Nombreuses sont les 2CV qui vécurent leur carrière, garées à l’extérieur, au mieux dans une cour intérieure, au pire sur un trottoir jouxtant une route, exposant chaque hiver un peu plus leur carrosserie au terrible sel routier.

Il n’est donc pas rare de voir des 2CV extrêmement rouillées sur un flanc… et beaucoup plus saines de l’autre… La mienne n’en faisant pas exception. Les précédents propriétaires ayant jugé bon de faire dans la bidouille, les deux planchers avant, probablement grignotés par le temps, avaient en effet été remplacés par deux tôles soudées et peintes dans le beige d’origine. Je trouverai plus tard de l’horrible « choucroute » (fibre de verre et résine époxy) sous le brancard gauche, habillement maquillée par du mastic et de la peinture.

Difficile à déceler au premier coup d’œil, ce genre de réparations de fortune sont pourtant légion sur les « populaires », dont la 2CV fait tout naturellement partie. Le remède étant sur le long terme bien pire que la maladie elle-même… En effet, si la fibre de verre s’est avérée être un matériau particulièrement efficace et durable dans la fabrication d’automobiles sportives (on pense forcément aux Alpine A110 et leur carrosserie en fibre de verre), l’additionner directement sur des métaux est l’une des pires idées qu’un collectionneur puisse avoir…

Appliquée directement sur la carrosserie, elle emprisonne en effet durablement l’humidité ; autant dire que pour créer de la rouille de toute pièce, on ne fait pas mieux. Appliquer de la peinture antirouille ou n’importe quel autre apprêt ne servira qu’à retarder de quelques mois la propagation du virus, et pour revenir dessus par la suite, vous êtes bons pour vous réinventer carrossier à grands coups d’investissements dans un onéreux poste MIG (poste à souder avec injection de gaz), ou par un passage au marbre chez un professionnel. Alors autant y-réfléchir à deux fois, et venir avec un bon aimant pour étudier les sous-bassement lors de vos visites en vue d’un achat futur…

S’il est déjà trop tard, et que vous vous apercevez comme moi de la bidouille après achat, le mieux à faire reste de retirer sans tarder cette gangrène en devenir, et guérir au plus vite.

La peur de la rouille ne doit toutefois pas être un obstacle à l’achat d’une 2CV : une inspection sérieuse de la carrosserie permet de séparer les voitures à éviter, des excellentes affaires. Contacter un des multiples clubs de 2CV afin de se faire accompagner n’est jamais une mauvaise idée… À défaut de pouvoir compter sur un salutaire mécano comme Roger dans vos proches, vous y-serez accompagnés par de vrais passionnés qui, très souvent, auront déjà vécu les mêmes difficultés que vous.

->Voilà, si vous êtes arrivés ici, c’est qu’il y a peut-être une chance que ces 10 premiers chapitres vous ont plu… N’hésitez pas à partager le tout avec vos amis, mais aussi à me donner votre avis !

Sébastien

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